Jospin et La France déclare la guerre à la délinquance juvénile – 1999- Suivi de Chevènement et états d’âmes

 Un plan exceptionnel pour lutter contre l’insécurité. Lionel Jospin promet plus de fermeté, de policiers et de magistrats.

 

Les cités françaises sont devenues des zones de non-droit, pas une semaine ne s’écoule sans que l’actualité ne fasse état de faits gravissimes de délinquance dans les banlieues de l’Hexagone. Les statistiques de l’insécurité deviennent de plus en plus inquiétantes. Le gouvernement s’est décidé à agir.

Sept mille policiers recrutés en trois ans, deux cents délégués du procureur nommés avant la fin de l’année ou encore cinquante centres de placements créés d’ici 2001: le gouvernement de gauche plurielle de Lionel Jospin a annoncé mercredi soir qu’il allait dégager des fonds exceptionnels pour s’attaquer à l’insécurité et à la délinquance des mineurs. Une batterie de mesures détaillées par le Premier ministre et qui s’inscrivent, dit-il, «dans la continuité» de la politique décrétée par le gouvernement: La violence est globale, notre action est globale , a-t-il ainsi résumé.

Les mesures décrétées par le Conseil de Sécurité intérieure, réunissant les treize ministres concernés par la délinquance des mineurs (Intérieur, Justice, Ville, Sports, Culture, Emploi, etc.) étaient particulièrement attendues: le débat commençait à faire dangereusement tanguer la cohésion de la gauche plurielle au pouvoir, déchirée entre les partisans d’une approche répressive, comme le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, et ceux qui, comme la ministre de la Justice Elisabeth Guigou, insistent sur le besoin de prévention.

Rien n’est plus ondoyant que les options politiques en matière de protection de la jeunesse, analyse le criminologue liégeois Georges Kellens, jugeant que sur cette question, qui se résume souvent à un acte de foi ou d’opportunisme du législateur, la Belgique reste au milieu du gué, notamment en raison de sa complexité institutionnelle . Mais une chose est sûre: la violence de la sanction infligée aux jeunes revient tôt ou tard comme un boomerang.

Lionel Jospin a choisi de renforcer hommes et moyens sur les deux fronts – répression et prévention, en insistant sur la fermeté nécessaire et le respect de la loi.Trois grands axesont été dégagés. Pour assurer une présence effective des forces de l’ordre dans les quartiers les plus touchés par les violences, 7.000 policiers et gendarmes seront recrutés dans les trois ans à venir, le nombre de postes de police de proximité, d’îlotiers et de maisons de Justice va être revu à la hausse.

 

PAS ENCORE DE BUDGET

Pour améliorer l’efficacité des réponses aux actes de délinquance, le nombre de délégués du procureur va passer de 200 à 400, et 50 centres de «placement immédiat et strictement contrôlé» seront créés, afin d’éloigner «les mineurs les plus difficiles en attente d’être jugés». Pour mieux préserver l’école des délinquants, 10.000 aides-éducateurs supplémentaires seront recrutés d’ici trois ans, les zones géographiques prioritaires seront élargies, les auteurs de violence contre des enseignants seront plus sévèrement réprimés.

L’opposition, qui ne manquait pas de critiquer le gouvernement sur la question sécuritaire, a reconnu hier soir qu’il y avait sdu bon dans les propositions de Lionel Jospin. Ce sont les appels du président de la République Jacques Chirac qui ont été entendus , a dit Eric Raoult, un ancien ministre gaulliste de l’Intégration. La droite attend évidemment de juger le plan Jospin à ses effets concrets. Reste la principale faiblesse du train de mesures exceptionnelles: elles n’ont pas encore été budgétisées…

OLIVIER VAN VAERENBERGH et JOËLLE MESKENS (avec M.d.M.)
Jeudi 28 Janvier 1999 in « Le Soir »

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Chevènement et états d’âmes

 
Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne , disait jadis Jean-Pierre Chevènement. Les temps changent…

Revenu aux affaires en janvier, après un grave accident d’anesthésie, le ministre français de l’Intérieur a pris plaisir à «l’» ouvrir sans rendre son tablier. Remonté contre les «sauvageons», le «miraculé de la République» n’a cessé de plaider ces dernières semaines pour une approche de plus en plus répressive de l’insécurité. Au point de faire tanguer la majorité plurielle de Lionel Jospin…

Apaisement en vue? Les sourires complices des ministres de l’Intérieur et de la Justice à l’issue de la réunion de Matignon, mardi, tentent de le faire croire.

Elisabeth Guigou, partisane d’une approche préventive, était la plus remontée. Elle n’était pas la seule à s’irriter des propos du «Che». Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, ou Claude Bartolone, ministre de la Ville, n’appréciaient pas davantage. Quant aux alliés écologistes, ils étaient d’autant plus irrités que Jean-Pierre Chevènement, emporté par sa fougue, ne s’est pas privé de leur adresser quelques Scuds. Daniel Cohn-Bendit, chef de file des Verts pour la campagne des européennes, a eu droit aux mots doux d’«anarchiste mercantiliste» ou de «représentant des élites mondialisées»…

La cote de popularité de Jean-Pierre Chevènement se porte aussi bien que son taux de globules rouges, mais ce n’est pas une raison pour laisser le bouillant ministre aller trop loin. Par deux fois, Lionel Jospin vient de le rappeler à… l’ordre. En réaffirmant que la lutte contre la délinquance était une «valeur de gauche», le Premier ministre a préféré parler dans une récente interview télévisée d’approche «sécurisante» plutôt que «sécuritaire». Hier soir, il a plus nettement encore arbitré la querelle qui agite ses ministres en faveur de la ligne «Guigou».

La droite s’engouffre évidemment dans la brèche. Multipliant les attaques contre les avis «décidément pluriels» de la gauche, elle cherche dans la division de l’adversaire un moyen de recoller ses propres éclats.

Lionel Jospin joue les équilibristes: en donnant tort à son ministre de l’Intérieur, il devra maintenant éviter de se le mettre à dos. Jean-Pierre Chevènement, en charge d’autres dossiers sensibles (sans-papiers, Corse), est un maillon essentiel du gouvernement. Il est aussi, par certains accents très droitiers de sa politique, un joker pour séduire le centre dans la perspective des élections présidentielles…

JOËLLE MESKENS
Jeudi 28 janvier 1999 in « Le Soir »

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