Quatre millions de crimes et délits en France

SEƒCURITE ƒ Un bilan 2001 du ministère de l’Intérieur tristement historique.

par Jean-Marc Leclerc in « Le Figaro » -Vendredi 18 janvier 2002

« Autour de quatre millions de crimes et délits en 2001, soit près de
11 000 faits par jour : on va atteindre un record historique ! » Daniel Dugléry,
le maire divers droite de Montluçon (Allier), ancien patron des
80 000 policiers de la Sécurité publique et du syndicat des commissaires,
qui n’a pas perdu le contact avec la « grande maison », tire le signal
d’alarme.
Annoncé traditionnellement fin janvier, le bilan du ministère de l’Intérieur,
dont certains chiffres circulent déjà sous le manteau, devrait relancer
le débat sur la sécurité. Bruno Beschizza, le secrétaire général du syndicat
Synergie-Officiers (majoritaire à la PJ parisienne), annonce, pour sa part,
qu’« au-delà du nombre, c’est la nature des actes de délinquance qu’il
faut prendre en considération, les voyous étant chaque jour plus jeunes
et plus violents ».
Comme l’an dernier, c’est en zone gendarmerie, dans les secteurs ruraux
et périurbains, que l’augmentation est la plus forte (voir notre reportage).
Elle avoisinerait les 11 %, tandis que la hausse enregistrée par la police
nationale, plus présente dans les grandes villes, s’établirait autour de 7
%. Des chiffres qui faisaient, hier encore, l’objet de calculs fébriles tant la
matière est sensible.  Dans sa descente aux enfers statistiques,
la gendarmerie aurait eu un moment de grâce. Alors que durant
les onze premiers mois de l’année 2001, elle enregistrait des hausses
pouvant atteindre les 15 % (par rapport aux mêmes mois de l’année
2000), une spectaculaire embellie se serait produite en décembre. A moins
que ce « miracle » ne traduise, non pas une baisse de la délinquance dans
son secteur, mais tout simplement le résultat d’une certaine démobilisation
chez des militaires en proie au désarroi avant les fêtes de Noël… précisément
en raison de l’insécurité croissante.

Ce bilan 2001 ne reflète pas toute la réalité. Comme Alain Bauer, un
consultant en sécurité qui passe pour un grand maître de la science statistique,
a l’habitude de le dire : « Les données officielles sont partiales,
partielles et parcellaires. » Ells ne rendent compte que des faits transmis
au parquet. Elles ignorent les chiffres « noirs » et « gris » de délinquance.
C’est-à-dire toutes ces affaires non transmises à la justice par les autorités
de police, ainsi que tous ces faits pour lesquels les victimes n’ont pas
souhaité ou pas osé porter plainte. Nombreuses sont les déclarations
qui échouent dans des « mains courantes », ces grands cahiers où l’on
note les événements du jour dans les commissariats ou les gendarmeries.
Parfois, la victime qui se présente est même invitée à « envoyer un
courrier ». L’accueil n’est pas toujours à la hauteur des espérances dans certains
postes de police.
« L’état 4001 qui recense les crimes et délits en diverses catégories
a peut-être des défauts, concède le syndicaliste Bruno Beschizza, mais il
a au moins le mérite de pouvoir permettre des comparaisons d’une année
sur l’autre. »

Pour défendre son bilan, le ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, avance,
depuis quelques mois, un argument : si la statistique monte, c’est parce que
la « police de proximité », qui travaillerait davantage au contact du citoyen,
prend davantage de plaintes. Comment expliquer alors que les augmentations
les plus fortes de la délinquance se situent en zone gendarmerie,
précisément là où cette réforme n’est pas en application ?
Pour sortir de l’impasse, une idée a germé dans les milieux gouvernementaux
: il suffit de changer la manière de compter. Le 25 juin dernier,
lors de la rencontre nationale des Contrats locaux de sécurité, le premier
ministre Lionel Jospin annonçait la mise en place, après 2002, d’un
« nouvel instrument statistique »

pour mieux mesurer l’insécurité. Deux parlementaires ont aussitôt été
sollicités pour mettre en musique ce projet : le député socialiste de Paris
Christophe Caresche et le député RPR de Seine-Saint-Denis Robert Pandraud.
L’intention est louable. La France a renoncé à pratiquer des enquêtes de
« victimation » nationales qui permettent de mesurer la délinquance par
sondage auprès des victimes. Elle déclare autour de 70 crimes et délits
pour 1 000 habitants quand, à niveau économique social identique, ses voisins,
plus scrupuleux sur les méthodes de comptage, en dénombrent
environ 100 pour 1 000 habitants.

A l’heure où une forte polémique autour des derniers chiffres se profile,
il pourrait être tentant d’ajouter au débat les conclusions du rapport Caresche-
Pandraud. L’initiative présenterait un double intérêt. D’abord elle
permettrait de relativiser les critiques sur le bilan de Daniel Vaillant,
puisque tout va changer sur le plan statistique.
Ensuite, s’agissant d’une réforme dont les effets ne pourraient intervenir,
selon le souhait de Lionel Jospin, qu’une fois passées les élections de
2002, l’opération permettrait de repousser la mise en place d’un nouveau
mode de calcul qui ne peut aboutir qu’à une aggravation des résultats.
Améliorer l’outil, c’est inévitablement prendre en compte davantage de
faits.
Si la gauche conserve le pouvoir, elle dira qu’elle a tenu ses promesses.
Si la droite gagne, elle s’expose à bilan encore plus noir que celui de ses adversaires
de 2001. « Mais que diable Robert Pandraud est-il allé faire dans
cette galère ? », conclut l’un de ses amis du RPR.

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